Bits & Scraps

Wednesday, September 27, 2006

La classe des garagistes et la sous-classe des médecins (essai)

Qu'est-ce qu'un garagiste ?

C'est un homme de l'art, détenteur de savoir et de savoir-faire, qui répare des machines selon des protocoles figés et prédéfinis. Il applique un savoir-faire qui a été formalisé en dehors de lui et passe d'une réparation à l'autre. Les réparations difficiles ne réussissent que pour autant que les protocoles sont adéquats : pauvre voiture qui aurait une panne inconnue !

Les garagistes ne travaillent pas tous dans des garages.

Un plombier est ainsi un garagiste selon la définition précédente. Qu'il soit français ou polonais...

Il y a aussi des architectes-garagistes, ce qui explique la grande pauvreté architecturale des quartiers pauvres et des nouveaux villages ou quartiers en France en général.

Il y a des enseignants-garagistes, dont une part de la production (les élèves) finit sur des voies de garage.

Un chauffeur de bus est un garagiste de même qu'un pilote d'Air France : ils ont tous les deux fait leur travail s'ils ramènent leur outil de travail en sécurité au garage - ou au hangar - après chaque mission.

Beaucoup d'ingénieurs sont des garagistes et aussi beaucoup de chercheurs !

Il y a aussi des médecins-garagistes.

La machine qu'ils réparent est vivante, mais elle est vue et traitée comme une machine, un peu comme si Descartes était encore de ce monde. Ils viennent (veni), "posent" un diagnostic (vidi) dans le secret de leur cœur et de leur logique, sans beaucoup échanger avec les machines (les malades), ni avec leur environnement (pairs, collaborateurs, famille des malades - qu'on pourrait qualifier d'utilisateurs de la machine) et passent à l'acte médical, ce qui résout (vici) ou non le problème. Après cette étape, on passe à la suite et la machine est sortie du garage.

On a suivi en principe un protocole basé sur des connaissances complexes, un outillage et des capteurs sophistiqués. La comparaison avec le garagiste peut sembler péjorative dans la société très méritocratique et hiérarchisée française et peut-être la comparaison avec un mécanicien d'aviation, qui a souvent un titre d'ingénieur, choquerait-elle moins ?

Mais cela ne changerait rien au fond : il y a traitement de tâches en série, clôture des dossiers après qu'ils aient été traités, peu d'échanges ni d'audit ni de dialogue avec la machine et ses utilisateurs. A-t-on bien posé le diagnostic ? On pourrait en douter, quand le malade revient 4 fois de suite en 1 mois en urgence à l'hôpital pur les mêmes raisons.

La réponse à cette objection est d'ailleurs dans l'esprit machiniste : votre père a 96 ans, il se porte bien mais comme un vieux monsieur de cet âge. Entendez les parties vitales sont usées, dégradées : la machine est au-delà d'une maintenance normale, songez à la remplacer par un modèle nouveau ! Passez donc du garage à la concession de vente de l'autre côté de la porte vitrée !!

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Sunday, September 24, 2006

Que sont mes idées devenues... (essai)

Ces idées qui m'échappent et qui fuient quand je veux les attrapper et que j'en ai besoin pour avancer, où vont-elles ?

Disparaissent-elles à jamais dans une explosion cosmique, annihilation de matière perçant l'éther comme un trou noir ?

Ou quelqu'un me les a-t-elles volées, plagiaire télépathique dans le www de la promiscuité de la pensée mondiale ? Les lirai-je un jour, ailleurs, et alors, même si je ne les reconnais pas, éprouverai-je pour elles de l'affection, de l'empathie, de la sympathie intellectuelle, l'esprit empli du goût nostalgique de ces petites madeleines virtuelles ?

Retournent-elles dans la ceinture de Kuiper des idées, univers aristotélicien où elles tournent en rond, en sommeil, attendant que des esprits ne s'entrouvrent pour les attraper et leur donner corps dans leur monde à eux ?

Où se cachent-elles simplement derrière le buisson de mes angoisses cachées, au fond du bosquet de ma fatigue ou dans le jeu bruyant d'une bande de gamins qui jouent à cache-cache ?

Joachim Halzheimer

Saturday, September 23, 2006

La grippe à bière (nouvelle)

Le XXIème siècle a débuté par une série de catastrophes : la mondialisation du SIDA ; la destruction nucléaire du Moyen Orient, déclenchée par un missile du Hezbollah armé d'une bombe atomique tactique explosant sur la ville d'Hadera, consommée par la riposte de Tsahal, qui détruisit Beyrouth quelques secondes avant qu'un missile à longue portée iranien ne rase tout Israël, la Palestine en prime et une partie de la Jordanie ; la guerre civile à Cuba après la mort de Castro, sur fond d'ouragans et de raz de marées, qui a tué les deux-tiers de la population du pays et l'a rendu à jamais inhabitable ; la destruction de Java et de Singapour par la série de tsunamis de décembre 2008 ; la sécheresse dans la Chine du Sud et la famine qui en a résulté, avec la mort de 250 millions de personnes.

Un vrai premier chapitre de l'apocalypse !


Pourtant, le pire était à venir…


La bière belge est la meilleure du monde.

Ce n'est pas seulement ce que pensent les Belges eux-mêmes, ou même les Français, qui ont depuis longtemps renoncé à faire de la bière malgré les beaux travaux de Louis Pasteur sur la fermentation. Des jurys internationaux l'ont affirmé et l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis ou les Japon, eux aussi grands buveurs et grands producteurs de bière, ont reconnu la supériorité de la petite Belgique dans le domaine de la brasserie.

Il existe en Belgique 500 espèces de bières, autant que dans tout le reste du monde. La bière se boit dans des tavernes spécialisées, choppe à choppe ou par demi-douzaine, si c'est une dégustation. Il faut beaucoup de séances de dégustation pour échantillonner toute la production du pays! La bière se vend dans les supermarchés, où ses linéaires sont les plus longs du monde. Les packs à bière de treize bouteilles ont été inventés en Belgique. Les collectionneurs de verres à bière sont aussi légion dans le monde entier et le pays en est le premier producteur mondial. Beermug.be est le premier site commercial en ligne à vendre aux tégestophiles du verre blanc aux couleurs des brasseurs du pays et à l'expédier à grand frais aux quatre coins du monde par Federal Express.


La famille royale belge fête ses grands évènements familiaux et donc nationaux à la bière de garde et non plus au champagne, la boisson festive des voisins du sud qui est jugée ringarde à Bruxelles. Wallons et Flamands ont une égale passion pour la bière et des observateurs politiques subtils ont fait remarquer que c'est la bière, en dernière analyse, qui cimente encore l'union de ces deux communautés que rien d'autre ne rapproche plus vraiment : "la bière est le ciment de la nation belge !" s'est écrié un jour le premier ministre Martens. Sur le seule lettre de cette déclaration, le groupe cimentier Lafarge acheta 10% des actions du groupe Leff le soir même ! Les analystes financiers s'interrogèrent sur l'émergence d'une nouvlle stratégie de dématerialisation...

Certes la bière n'est pas née en Belgique, dont la création ne remonte qu'au deuxième souffle des révolutions européennes, en 1830. L'origine de la bière se perd dans la nuit des temps. Les Celtes produisaient déjà de la cervoise.

L'utilisation de malt d'orge, plutôt que d'autres céréales, et surtout du houblon, qui donne son parfum au breuvage, donna la primauté à une technologie née en Allemagne. C'est pourquoi on utilisa le mot bière, dans presque toute l'Europe., sauf en Espagne et au Portugal qui continuent à boire de la cerveza. Issu du Bier allemand ou du bier néerlandais, le mot bière s'est imposé au XVème siècle en français et a émigré ensuite vers le Sud jusqu'en Italie, en Grèce et en Turquie. Cela n'a posé aucun problème à la Belgique francophone, néerlandophone et germanophone.

La Belgique, dont la tradition brassicole est plus ancienne que le pays, s'est imposée comme le leader mondial du secteur vers la fin du XXème siècle, par son travail, la qualité de ses productions et la continuité avec ses pratiques anciennes. Cet équilibre entre production industrielle et tradition artisanale a permis à la brasserie belge d'échapper à la médiocrité mercatique qui a frappé de grands noms européens comme Heineken, Carlsberg ou Tuborg. Ceux-ci avaient emboité le pas à Coca Cola et aux bières américaines, Coors, Miller ou Budweiser, et transformé la bière en un pop drink!

Le monde entier envie à la Belgique ses bières trappistes.

Au delà de la bière traditionnelle, on trouve aussi en Belgique la geuze et la kriek, inventions purement belges, que le monde entier laisse volontiers à ce pays.

Maintenir le premier rang mondial en matière de brasserie est un défit que la Belgique relève en permanence avec tous les moyens qu'un pays souverain peut mobiliser. Les brasseurs sont en première ligne, mais l'université est aussi aux fourneaux, ou plus exactement aux concasseurs, aux cuves de brassage, de décantation et d'affinage et aux fermenteurs. Des crédits d'état, dont certains proviennent du ministère de la défense nationale, alimentent une recherche active pour le renouvellement de l'offre. Les services secrets belges, wallons, flamands et bruxellois, dont peu de gens ont entendu parler, ce qui est la preuve de leur réelle efficacité, possèdent un département "bière" solidement doté en crédits de fonctionnement et protégé au plus haut niveau de l'état.


C'est dans un laboratoire secret, enterré sous une colline ardennaise dont la localisation exacte ne peut être révélée, qu'a commencé cette histoire. Un endroit très discret qu'on appelait aussi le Centre. Des chercheurs belges, dont on avait vérifié avec rigueur la nationalité et testé le dévouement patriotique en remontant jusqu'aux origines du pays, y travaillaient avec une ardeur d'avance. Le mélange des nationalités correspondait exactement à la moyenne fédérale et, pour être politiquement correct, on y parlait anglais, les flamands plutôt bien et les wallons plutôt mal. Les accents avaient l'authenticité des parlers d'Anvers et de Liège et ni un Londonien, ni un New Yorkais ne s'y seraient retrouvés sans un peu de décodage et d'apprentissage.

Karl van de Putte était un brillant postdoc, ayant fait sa thèse sur l'exploitation pétrolière assistée par injection de CO2. On pourrait faire la remarque que le lien entre son travail doctoral et la recherche brassicole n'avait rien d'évident, mis à part le CO2. Mais les chasseurs de tête du ministère de la défense nationale n'étaient pas des et ce genre de nuances leur échappait largement. En outre, la recherche d'une généalogie belge pur sucre limitait beaucoup les possibilités de choix!

Karl, sous ses cheveux blonds, arborait les traits fins d'un aristocrate et son corps mince et élégant le faisait ressembler à un sportif, bien qu'on eut eu peine à trouver quiconque l'ait jamais pris en flagrant délit de faire du sport. Son bronzage permanent lui tenait lieu de muscles.
Karl était brillant et il assimila très rapidement les données scientifiques et mercatiques de son nouveau métier. Il percevait d'ailleurs la complémentarité de ces deux approches beaucoup mieux qu'un pur spécialiste de brassiculture n'aurait pu le faire, et il voyait très clairement les objectifs qu'il fallait se fixer et donc les voies à suivre pour les atteindre : il était une synthèse à lui tout seul d'un scientifique de premier plan et d'un manager rapide, clairvoyant et efficace!

Les objectifs de Karl étaient assez simples à formuler.

D'une part, il souhaitait réussir très vite, pour accéder à des postes de responsabilité, dans son laboratoire d'abord et dans la nomenklatura de la fonction publique belge ensuite. Cela lui permettrait de donner à son épouse, dont l'ambition était dévorante et passait par son succès professionnel à lui, les moyens de se rapprocher de la famille royale. Elle le récompensait de ses succès par des nouveautés dans leurs rapports sexuels dont il était très friand, mais qui n'étaient dispensées qu'en proportion exacte de ses résultats : elle appliquait avec une grande rigueur à leur vie conjugale un management très classique par objectifs. Le couple qu'ils formaient aurait sans peine pu être agréé ISO 9000.

D'autre part, pour atteindre son premier objectif qu'on pourrait qualifier d'objectif de carrière, il fallait faire gagner régulièrement des parts de marché à la bière belge, en maintenant une longueur d'avance sur les autres brasseurs du monde entier.

Ses collègues excellaient à imaginer de petits progrès incrémentaux en matière de brasserie et il leur en laissait volontiers la maîtrise d'œuvre et la gloire. Il préférait quant à lui préparer les transitions plus stratégiques et les progrès en rupture.

Sa principale idée était de faire faire un bond à la teneur en alcool des bières. Les bières super-dry des brasseurs japonais lui avaient mis l'idée en tête, de même que les bières à fermentation en bouteille, à l'origine desquelles se trouvaient d'ailleurs des brasseurs belges.

Dans une première étape, on viserait à faire concurrence aux vins, donc une teneur en alcool comprise entre 9,5 et 12%. Le gaz carbonique et la mousse se chargeraient de rendre la boisson plus rapidement éthylique et il était persuadé qu'une partie des buveurs de vins seraient ainsi séduits par la bière et changerait de mode de consommation. Cela se produirait même en France, où la culture œnologique était très largement superficielle et où les jeunes consommateurs étaient d'abord attirés par le coup de fouet que procure le passage de l'alcool dans le sang et donc par la teneur brute en alcool. Certains brassiculteurs classiques auraient pu proposer ce genre de direction.

Dans une seconde étape, on pourrait se montrer beaucoup plus ambitieux et passer dans la gamme de la concurrence aux vins cuits, aux vins de fruits, aux sakés, mais aussi aux cidres corsés, aux poirés, aux pineaux et même aux alcools forts comme le whisky, le gin, l'aquavit ou la vodka. Aucun brassicultureur classique n'aurait songé à proposer une telle idée, et la plupart d'entre eux, dès qu'elle fut connue, crièrent au fou ou au sacrilège.

La méthode la plus simple pour monter à ce point en degré d'alcool consistait à ajouter de l'alcool pur, de belles molécules prolabo pouvant très bien convenir, mais le combinatoire presqu'infini avec des alcools offrait de beaux jours à des différentiations mercatiques digne de faire se pâmer une élève de première année en école de commerce.

On pouvait aussi obtenir le même résultat en respectant l'esprit de la fabrication de la bière, ce qui demandait une grande imagination et une grande audace dans son cœur de métier.

Quand il en parla un soir à son épouse, elle ne le laissa pas reposer de la nuit et lui fit accomplir des prouesses amoureuses dont il ne se savait pas capable. Fatigué, mais repus, il se leva le lendemain certain d'être sur la bonne voie.

Techniquement, la solution n'était bien sûr pas simple et exigeait de mettre en œuvre des techniques de modification génétique au niveau de l'orge, du houblon et des bactéries de fermentation. Tout cela en même temps et sans aucune compromission, car, pour espérer atteindre un objectif aussi ambitieux, rien de moins n'était raisonnable.


Le lancement de la nouvelle gamme de bières à teneur en alcool variable eut lieu au printemps 2010 à Bruxelles, en présence du prince héritier et son épouse. La mousse monta dans des centaines de choppes et chacun put vérifier le pouvoir d'intoxication de ces nouvelles bières. Elles venaient en versions blanche, blonde, brune et rousse. Elles coulaient à la pression ou de simples canettes en verre, en aluminium ou en acier. Leur succès était tellement assuré à l'avance, que des appellations d'origine contrôlée, nouvelle bière belge ou NBB, avaient été créées pour l'occasion et figuraient déjà sur les fûts, les bouteilles et les boites boissons.

La télévision l'interviewa en début de soirée, tant qu'il pouvait s'exprimer sans être trop éméché et que les journalistes eux-mêmes pouvaient le cadrer sans faire trembler leurs caméras. La RTBF bien sûr, France Télévision, mais aussi CNN International, NHT, CCN et France 24, "la télé chirac".

Il déclara pour la postérité et pour la plus grande gloire du futur chiffre d'affaire de la brasserie belge que "la frontière entre les pays du vins et les pays de la bière venait de reculer significativement en ce jour à marquer d'une pierre blanche, blanche comme la mousse de la NBB. C'était le début de l'avenir, une ère nouvelle où la cuisine allait enfin pouvoir s'exprimer loin des contraintes historiques du totalitarisme du vin, explorer et découvrir de nouvelles frontières et échapper ainsi à l'arrogance de la cuisine française." La suite était de la même veine et exhortait le patriotisme des pays du nord de l'Europe, dont la supériorité culturelle allait enfin pouvoir s'exprimer aussi dans les arts de la table et du goût. Fox News repris ces propos avec en arrière plan l'hymne américain, dont le niveau sonore monta à son maximum dès que la citation fut achevée.

Les actions des brasseurs belges bondirent dans la soirée de 27% à la bourse de New York, qui était encore ouverte. Du jamais vu! La production fut vendue dans sa totalité avant la fin de la soirée. Dans les minutes qui suivirent, des milliers d'hectolitres changèrent de main sur un marché noir parallèle à 17 fois le prix officiel.

Il rentra chez lui avec son épouse aux petites heures du matin. Elle ne lui fit aucune fête particulière, ce qui l'étonna un peu, mais l'alcool génétiquement modifié si l'on peut dire, qui coulait dans ses veines l'empêcha d'en analyser les raisons. Il était devenu tellement passif et consommateur dans leur vie amoureuse, qu'il ne lui vint pas à l'idée de prendre lui-même l'initiative. Elle, elle était maintenant bien en cours auprès de la famille royale et avait donc atteint ses propres objectifs. Il n'y avait donc plus de raisons pour elle de satisfaire les appétits animaux et répugnants de son benêt de mari. Un peu de vacances s'imposaient, de très grandes et très longues vacances…


La production fut exportée dans le monde entier. L'aéroport de Zaventem fut fermé pendant 24 heures au trafic passager pour permettre aux avions cargos de décoller en continu sur les deux pistes de l'aéroport. Le bruit des réacteurs ronfla sur la capitale belgo-européenne pendant toute la durée de la nuit. Les VIP invités à la réception de lancement des NBB, qui ne restèrent pas dans la capitale jusqu'au lendemain, quittèrent le pays de l'aéroport militaire de Beauvechain et d'autres de celui de Villacoublay, après un rapide transit vers Paris sur le Thalys.

Les premiers malades apparurent quelques jours plus tard aux quatre coins du monde, mais surtout en Europe et en Belgique. Les symptômes étaient ceux de la grippe, avec une très forte fièvre, des céphalées, des courbatures dans les membres, les épaules et le dos et des douleurs musculaires. En l'absence de fortes doses d'aspirine ou de paracétamol¸ les malades déliraient de façon effrayante pour leur entourage.

Les hôpitaux les prirent en charge et les équipes médicales cherchèrent à poser un diagnostic. L'épidémie de grippe hivernale était terminée depuis plusieurs mois et les recherches virologiques montrèrent rapidement qu'aucun virus connu de la grippe n'était à l'origine de ces infections. Aucune autre hypothèse de premier rang ne vint élucider le mystère. Un grand nombre de malades guérit en 24 ou 48 heures. Mais d'autres, après une apparente rémission, firent de nouvelles poussées de fièvre et commencèrent à tousser.

Les premiers décès se produisirent dans la semaine. Insuffisance respiratoire, complications bactériennes, dégradation souvent inexplicable de l'état général avec asthénie et anorexie très marquées. Complications nerveuses et péricardites. Chez les sujets les plus fragiles, vieillards, enfants en bas âge, tuberculeux et sidaïques, mais aussi chez des sujets sains sans histoire, ni fragilité évidente.

La mondialisation des échanges n'allant pas de pair avec une mondialisation de la surveillance sanitaire, les cas observés le furent localement ou au niveau régional dans certains cas, mais le tableau clinique global ne fut perçu par aucun observateur. Seules les Parques comptaient les morts à ce moment là. Elles avaient une grande expérience de ce genre de dénombrement, mais elles durent vite faire appel à ce qui leur tenait lieu de calculettes pour enregistrer tous ces morts, tant les nombres crurent rapidement.

Des zones épidémiques se développèrent en Asie, Chine, Inde et Indonésie. L'OMS s'en inquiéta et envoya des équipes médicales enquêter sur place. Mais la relation entre les différents foyers n'était encore évidente pour personne et il n'était pas question de parler de pandémie. La seule chose claire était qu'il s'agissait soit de maladies rares, soit de nouvelles maladies.


Jean Lobrée était tout ce que Karl n'était pas. Il n'était pas particulièrement beau, affecté avant la trentaine d'un petit embonpoint qui le rendait convexe presque partout, contraste saisissant avec son corps jeune, dont on sentait le tonus et les muscles. Il ressemblait ainsi un peu à un sumotori.

Jean était vif, curieux, profond et plus enclin à suivre sa propre pensée et à développer des points de vue originaux et dérangeants qu'à entrer dans le moule des structures dans lesquelles il travaillait.

Jean était un wallon. Il ne parlait pas flamand, ou si mal que cela me méritait pas d'être mentionné. Par contre, il pouvait sans effort glisser du français dans un dialecte liégeois qu'aucun Français, même un cht'i, ne pouvait craquer sans connaissances préalables.

Jean vivait avec une jeune femme toujours éperdument amoureuse de lui après cinq ans de vie commune et il le lui rendait bien. Leur vie de couple était riche, passionnée et imprévisible dans leur façon de la déguster. Ils n'étaient pas seuls au monde, parce que le monde les passionnait, mais quand ils étaient ensemble le lien avec ce monde se distendait singulièrement.

Dans le laboratoire ardennais secret, dont je continuerai à taire le nom, Jean avait un rôle assez subalterne par rapport à celui de Karl. Néanmoins, il s'était construit une réputation de sérieux, de finesse d'analyse et de clairvoyance et son avis était recherché dans des situations inhabituelles.

Il lui arrivait aussi de donner son avis sans qu'on le lui demande, ce qui ne manquait pas d'en irriter beaucoup et donc de contribuer à son maintien dans la position un peu marginale où il se trouvait. Mais ce qui aurait insupporté Karl au point de lui faire perdre son sang froid, convenait assez bien à Jean, dans la mesure où cela s'accompagnait d'une grande liberté pour conduire les recherches qui lui paraissaient importantes et lui apportaient du plaisir.

Jean avec regardé la prise de pouvoir de Karl avec une certaine incrédulité et beaucoup de curiosité. Tout dans cette affaire lui paraissait digne d'émerveillement.

Il était fasciné par l'ascendant que Karl exerçait sur ses collègues et sur la strass du Centre.
Karl y était considéré comme le messie alors qu'il ne faisait que des propositions plutôt banales. Ainsi, des bières à forte teneur en alcool existaient déjà sur le marché. La Belzebuth par exemple, titrait initialement 15° d'alcool, mais il avait été nécessaire de la ramener à 13° pour lui conserver une clientèle minimale. Le public n'était pas attiré par des bières top fortes et Jean ne croyait pas qu'on pourrait changer facilement de comportement, sauf à recourir à des techniques de mercatique apparentées à la manipulation pure et simple… une pratique que l'éthique de la profession réprouvait et qui se retournait toujours contre ceux qui l'adoptaient.

Quant à l'idée de viser une teneur en alcool encore plus élevée, cela relevait pour lui du pur fantasme. En effet, si les buveurs de bière n'avaient pas d'objection de principe à l'alcool et à ses effets, ils voulaient laisser la drogue pénétrer doucement dans l'organisme, délayée dans beaucoup de liquide pour entrer lentement en ébriété, tout en prenant plaisir à l'âpreté du breuvage. C'était une pratique aux antipodes de ce que recherchaient les buveurs de vins.
Jean comprenait par contre très clairement les ambitions personnelles de Karl. Il attendait même avec un certain amusement le moment où il le trouverait directement au dessus de lui en position hiérarchique, et il se promettait beaucoup d'amusement à le maintenir à distance et à préserver sa propre liberté au même niveau qu'aujourd'hui. Voire à en acquérir encore un peu plus. Peut-être pourrait-il même le manipuler et l'utiliser en trouvant un terrain d'entente entre leurs idéaux pourtant en apparence si opposés.

Ce que Jean ne comprenait pas, par contre, c'était la mécanique interne du couple formé par Karl et son épouse, ni l'alchimie qui les unissait. Il soupçonnait que parler d'alchimie était mettre dans cette relation plus de romantisme qu'elle n'en comportait, et que parler de chimie, organique et minérale, serait certainement plus approprié. Mais probablement que la question ne l'intéressait pas vraiment pour lui résister ainsi, ou alors qu'il percevait inconsciemment la réponse et qu'elle lui paraissait déplaisante et dépourvue d'intérêt.

Jean fut le premier à observer une corrélation entre les foyers où se développaient les cas de maladies inexpliquées et les lieux de séjour des invités à la grande fête de Karl. Clairvoyance ou intuition brillante ? Aboutissement de l'attente inconsciente d'une catastrophe qu'il présentait, les moyens mis en œuvres pour développer ces nouvelles bières belges lui paraissant porteurs de cataclysmes en puissance ?

Lors de la soirée de lancement des NBB, il avait passé une partie de son temps avec des visiteurs chinois et indonésiens. Par goût personnel pour ces régions, dont le dynamisme économique l'impressionnait. Leur culture aussi, qu'il avait modestement essayé de déchiffrer au cours de nombreux voyages d'affaires à Beijing, Shanghai, Taipei, Canton, Hong Kong, Jakarta et Palembang. Il connaissait quelques mots de mandarin et quelques autres de malais, ce qui avait aidé à amorcer les conversations. Il avait alors découvert avec un étonnement réel que ses interlocuteurs étaient prêts à poursuivre en espéranto, une langue qu'il avait apprise pour s'amuser étant enfant et dont il pensait que personne d'autre ne la pratiquait.

Ses interlocuteurs ne venaient pas des capitales qu'il avait déjà visitées, mais de Shenyang et de Lanzhou en Chine, et de Kupang et Danpasar en Indonésie. Or ces quatre villes figuraient sur la liste des foyers de contagion, comme il s'en aperçu en recoupant les informations disponibles sur le web.

Dès que cette coïncidence l'eut frappé, il confronta en détail tous les foyers de maladies et l'origine de tous les invités. La corrélation dépassait 99,8%, ce qui équivalait à une certitude. Le lien entre la consommation de la nouvelle bière et l'apparition des nouvelles maladies était claire, indéniable !

Il fit alors des prédictions.

Si son hypothèse était exacte, de nouveaux cas allaient apparaître dans les régions où la bière avait été exportée. Après un temps d'incubation qu'il estimait à 8 jours, de nouveaux foyers allaient apparaître, 3 jours environ après les premiers cas, compte tenu des délais logistiques pour mettre en place la NBB dans les points de vente du bout du monde et des habitudes de consommation des clients. Plus quelques jours encore pour que les autorités sanitaires locales identifient le problème, le rapportent publiquement et que les média décident de le relayer. Il faudrait sûrement aussi prendre en compte un temps d'incubation supplémentaire lié à la transparence de la société locale : la Chine avait fait de gros progrès depuis l'épidémie du SRAS, mais elle montrait toujours une certaine réticence qu'on pouvait chiffrer à 24 heures de retard dans son reporting épidémique par rapport à la Corée ou au Japon.

Que faire ?

Donner l'alerte tout de suite ? Il sentait qu'il ne pouvait espérer qu'on apportât foi à ses hypothèses dans le Centre, sans qu'il les étayât avec des arguments solides et incontestables. Une partie des gens qu'il devait alerter allaient d'abord le prendre pour un farfelu, un déséquilibré ou, pire, pour un aigri et un traitre au Centre et à la nation.

Il pouvait bien sûr s'adresser à l'extérieur, aux autorités sanitaires par exemple, mais, en Belgique, si attachée à sa culture de la bière, il devrait traverser chez elles la même barrière de scepticisme. Sortir de Belgique était tout aussi problématique, car personne n'accorderait immédiatement beaucoup d'attention à ses propos pour les mêmes raisons.

Il était séparé du monde par un plafond de verre qui serait long et difficile à briser.

Ces maladies inconnues, qui présentaient les symptômes d'une grippe, étaient une grippe à bière ! Une grippe à bire ! Quel assemblage singulier de mots ! Ne sonnaient-ils pas le glas de la bière belge pour de nombreuses générations à venir et peut-être même de la bière elle-même !
Evidemment, ce n'était pas la bière elle-même en tant que bière qui devait être en cause. L'humanité avait cohabité avec la bière pendant des siècles sans incompatibilité majeure en dehors des cirrhoses, des beer pouches et de l'alcoolisme mondain, version étudiante ou populaire. C'étaient probablement les manipulations génétiques qui étaient à l'origine du mal.

Il se rappela brusquement que des animaux de laboratoires avaient péri mystérieusement lors des travaux de développement de la bière : les rats blancs avaient été exterminés. On avait aussi retrouvé des cadavres d'oiseaux à proximité du laboratoire, surtout les espèces friandes d'ordures qui fréquentaient les zones de stockage des containeurs de déchets du laboratoire : mouettes, cormorans, corbeaux, corneilles, choucas et même pies. On n'avait jamais approfondi la cause de ces phénomènes et les autorités administratives, qui étaient fort discrètes dans la surveillance d'un laboratoire militaire top secret, n'avaient pipé mot : pas de questions gênantes, pas d'enquête administrative, pas de visite intempestive d'un inspecteur curieux !

Jean avait enquêté à titre personnel et soupçonné une forme de grippe. Grippe animale, grippe aviaire. Grippe ayant franchi la barrière des espèces entre les rats et les oiseaux. Ayant peut-être aussi franchi la barrière des espèces entre les bactéries des levures OGM et le rat, pas directement bien sûr, mais par un transfert de gènes ?

L'hypothèse était gratuite et folle, Jean le reconnaissait volontiers lui-même. Il n'eut d'ailleurs pas l'occasion de l'approfondir ou de la démolir, car le problème disparut rapidement et il était lui-même fort occupé par ailleurs par des sujets lui paraissant à l'époque plus importants.

Pourtant, elle refit surface dans son esprit, dès que les premières épidémies humaines apparurent.

Il s'ouvrit de ses inquiétudes à sa compagne, qui était en dernier recours sa confidente, même pour des questions scientifiques ou professionnelles qui ne relevaient pas de sa compétence. Elle lui conseilla aussi de donner l'alerte, et de le faire dans son laboratoire, par loyauté vis à vis de ses collègues.

Il s'exécuta le lendemain en allant expliquer ses soupçons directement au directeur du Centre dès 8 heures du matin.


A midi, Jean Lobrée fut arrêté par la sécurité militaire belge et mis au secret. Sa compagne reçut elle aussi la visite de commandos encagoulés et disparut comme lui. Karl Van de Putte fut quant à lui incarcéré à treize heures et son épouse à 13 heures 13.

Jean fut interrogé par des personnages invisibles, cachés derrière l'éclat de lampes éblouissantes et dont il n'entendit que la voix. Il expliqua en grand détail ses découvertes, ses analyses et ses hypothèses. On l'écouta avec beaucoup d'attention et on le questionna avec pertinence, jusqu'à ce qu'il se sente vidé de tout ce qu'il pouvait avoir jamais pensé sur le sujet.

Karl subit le même traitement, mais sans véritablement comprendre ce qui lui arrivait. La chute était si brutale, qu'il ne savait pas en imaginer la raison et on ne lui expliqua rien. Il découvrit cependant que ni son magnétisme personnel, ni son charme, qui ne l'avaient pourtant jamais laissé tomber auparavant, n'agissaient plus. Les agents du deuxième bureau belge et les savants de l'Académie Royale qui les assistaient dans les interrogatoires étaient immunisés à ses phéromones personnelles.

Le soir même, une réunion secrète se tint au palais royal de Bruxelles. La NBB était au cœur du débat et le Roi lui-même y assistait. Le souverain s'intéressait directement au grand œuvre de Karl. Si elle en avait eu connaissance, la femme de Karl aurait été aux nues !

Il était évident pour tous les participants que la sécurité et même le salut de la nation belge étaient en péril.

On s'accorda rapidement sur le fait que l'humanité entière était menacée et le bon sens prévalut pour reconnaître, avec tristesse certainement mais néanmoins une certaine dose de réalisme, qu'une Belgique seule au monde n'était pas viable. Il fallait donc intervenir pour arrêter les épidémies tout en préservant la réputation du pays, l'avenir de la bière et, avant tout, celui de la bière belge.

Il y eut un certain flottement entre l'énoncé du problème et celui de sa solution. Comme on le dit dans les pays chrétiens, un ange passa. Il passa et repassa, plusieurs fois de suite. Dans les milieux dirigeants, le silence ne soulève pas d'objection, quand des circonstances exceptionnelles l'exigent.

C'est en réécoutant les déclarations de Jean, qu'un brillant barbouze formé aux jeux de mots, allographes, anagrammes, calembours, charades, pangrammes, palindromes, paranomases, contrepèteries, mots croisés, mots fléchés, rébus, et autres virelangues, un homme que ses collègues appelaient à bon escient letterman, fit un jeu de mot et ainsi suggéra une solution : "grippe à bière, grippe aviaire ! Si nous parlions espagnol, on n'entendrait pas la différence. Comme entre Bilbao et Villabeaux…" ajouta-t-il, comme s'il ne pouvait s'empêcher de vouloir tromper son monde.


Il s'écoula environ six mois avant que le laboratoire n'isolât le virus aviaire qui avait tué les cormorans, les corbeaux et les pies. Comme Jean était maintenu au secret et ne participa pas à ces travaux, alors qu'il enrageait dans sa cellule en se demandant ce qui était en train de se passer, on ne prit pas beaucoup de temps pour comprendre exactement le rapport entre ce virus et les levures de la NBB.

On ne passa pas beaucoup de temps non plus à débattre de questions éthiques ou même simplement morales. Le virus avait la même virulence que l'agent infectieux liés aux nouvelles maladies et en présentait les mêmes symptômes. Il était en rapport avec lui, y puisait probablement son origine et, en outre, il pouvait le remplacer. C'était en quelque sorte l'équivalent d'un virus atténué, qu'on pouvait inoculer à l'organisme malade, pour l'aider à produire des anticorps ou à réagir favorablement à des contremesures comme des vaccins. Cela suffisait à l'équipe projet, par ailleurs plutôt satisfaite de la vitesse à laquelle elle avait fait avancer les choses.

Les Parques continuaient à compter les morts. Les chiffres avaient rapidement dépassé le premier million, bientôt les premiers dix millions, puis la première centaine de millions. C'était l'affolement complet dans le monde, les scientifiques tous mobilisés s'étant montrés incapables de trouver l'agent pathogène et de proposer un remède efficace. Même les techniques de vaccination, pourtant applicables aux cas où on ne comprenait pas grand chose au fonctionnement de la maladie, s'obstinaient à ne donner aucun résultat.

Quand le laboratoire des Ardennes se déclara satisfait de ses progrès, le patient travail des Parques dénombrait déjà 313 millions de morts.

Parmi eux, l'un s'appelait Karl : celui-ci avait servi de cobaye à ses collègues, qui pensaient qu'il devait ainsi expier sa sottise – et la leur, à eux qui l'avaient écouté et suivi pendant trop longtemps, au risque de sa vie comme eux risquaient la leur..

Des commandos furent envoyés dans le monde entier pour répandre le nouveau virus dans les foyers infectieux maintenant bien connus. Comme il n'y avait pas de remède connu à la maladie, il s'agit de missions suicides et seulement 10% des personnels engagés revinrent au bercail.

Comme c'était prévu, le virus aviaire remplaça le virus à bière - ou quel que soit le nom qu'il convienne de donner à l'agent infectieux mystérieux qui était en cause, et les cas d'infection humaine continuèrent à se développer comme si de rien n'était. La pandémie, maintenant mondiale, suivit son cours selon la cinétique bien connue de ces catastrophes. C'était la première fois que ce sujet, largement étudiée par des modèles mathématiques, recevait une confirmation expérimentale aussi directe depuis la grande peste du Moyen Age européen. Les épidémies de SRAS, de la première vague de grippe aviaire de 2005, les poussées de fièvres d'Ebola ou de Lassa n'avaient été que des feux de paille ne permettant pas d'aller au-delà des phases d'initiation de la maladie.

Il s'avéra soudain plus facile d'identifier l'agent pathogène. La forme informe du virus apparut rapidement sur les écrans de microscopes électroniques et sur les premières pages des journaux. On développa tout aussi rapidement un vaccin, qu'on testa, qu'on breveta, qu'on fabriqua, qu'on distribua, puis, finalement, qu'on injecta aux survivants.

Quand l'épidémie s'arrêta, les Parques avaient atteint le chiffre magique de 1313 millions de morts !

Heureusement, la bière sortait de cette mésaventure avec une réputation intacte.

Les savants qui avaient identifié le virus et ceux qui avaient isolé le vaccin se partagèrent un prix Nobel de médecine.

C'était injustifié pour un grand nombre de raisons.

D'abord parce qu'ils n'avaient rien découvert du tout, puisque le virus avait été isolé et "amélioré" dans un laboratoire belge. Ensuite, parce qu'isoler un virus grippal et développer un vaccin ne demande pas le bon intellectuel dans l'inconnu qui justifie un prix Nobel. Enfin, parce que les lauréats n'avaient pas compris grand chose à ce qui s'était passé et qu'ils ne s'étaient pas demandé pourquoi le virus était soudain devenu visible, plusieurs mois après que de meilleurs esprits qu'eux ne se soient cassé les dents sur son identification.

L'humanité s'en trouva fortement amaigrie. La démographie mondiale ne s'en remit jamais, ce que certains considèrent presque comme une bonne nouvelle.

Un peu de sagesse se fit jour, quand, à la recherche d'un bouc émissaire, certaines nations tentèrent de châtier le coupable qu'ils avaient identifié, en l'occurrence la Chine, et que l'Europe s'entremit pour éviter le pire et ramener tout le monde à la raison. Cela se produisit pendant une période où la Belgique assurait la présidence de l'Union Européenne. Les pays aussi peuvent rechercher l'absolution de leurs fautes passées et surtout de leurs fautes cachées.

L'histoire qui vient d'être racontée est restée secrète jusqu'à ce jour. Il n'est pas sûr que le lecteur y attache beaucoup de vérité, mais est-ce important ?

La raconter m'a aidé à alléger la conscience de ma culpabilité, à titre personnel. J'aurais aimé être plus clairvoyant, plus réaliste et avoir pris de meilleures décisions au cours de cette histoire.

J'ai à me faire pardonner beaucoup de naïveté, en particulier celle dont j'ai preuve quand je me suis adressé à ma hiérarchie pour expliquer ce qui s'était passé plutôt que d'en appeler à l'humanité toute entière. L'eussé-je fait, cela aurait pu sauver plusieurs centaines de millions de vie.

C'est probablement irréaliste de croire aux vertus de la thérapie que j'entreprends ici, mais j'aimerais bien un jour pouvoir redormir la nuit…

Jean

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