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Sunday, January 28, 2007

La nouvelle Saint Nicolas (nouvelle)

Les enfants fêtent Saint Nicolas le 25 décembre de chaque année, en même temps que la Noël. La nuit précédente, Saint Nicolas apporte des jouets qu'il glisse dans leurs chaussettes. Il apporte aussi des fouets à leurs parents, qu'il envoie plus simplement par la poste.

Les enfants ne savent pas bien qui était Saint Nicolas. Ils n'ont pas lu les livres des historiens. On ne leur a pas expliqué comment la fête a évolué de Saint Nicolas, qu'on appelle aussi Santa Claus dans certains pays, au Père Noël puis à nouveau à Saint Nicolas - en français dans le texte. Les adultes ne sont pas nécessairement plus savants sur le sujet.

Notre propos ici est de corriger cet oubli.


Un curieux concours de circonstances est à l'origine de la tradition de la Saint Nicolas, une conjonction inattendue de facteurs indépendants, la rencontre improbable d'univers séparés, la main du hasard ou du destin. When worlds collide…

Cette quatrième semaine de l'an deux mille sept fut en effet marquée par deux évènements concomitants, survenus à deux bouts de notre planète ronde.

Microsoft, la firme de Richmond, dans l'état américain du Washington, sortit cette semaine-là la nouvelle version de son système d'exploitation d'ordinateurs individuels Windows, enrichi d'un nom à la consonance italienne, Vista. On l'avait choisi pour évoquer la Renaissance du quadrocento et pour ne pas trop effrayer le marché américain en utilisant un mot qui serait complètement étranger à la langue anglaise.

Par la magie de la mercatique, cet événement déclenché dans une ville nichée à l'embouchure d'un petit fleuve se jetant dans le Pacifique est devenu mondial. Vista est en effet sorti simultanément sur tous les marchés mondiaux, avec pour seul décalage l'heure locale qu'impose la rotation de la planète sur son axe.

L'importance de l'événement dépend des instruments qu'on choisit pour la mesurer.

En termes de chiffre d'affaire de la firme Microsoft, il est considérable et il le demeure si on parle de marge, de bénéfice ou de résultats nets, d'EBIT ou même d'EBITDA de l'entreprise. Sur l'échelle des PIB des pays membres de l'Organisation des Nations Unies, ces résultats placeraient Microsoft au 25ème rang des nations mondiales, certes très loin derrière les pays riches ou nouveaux riches, mais bien en avant des pays émergents et des pays pauvres.

En termes d'innovation, Vista est une copie assez servile du système X d'Apple, dont la première version est sortie cinq ans plus tôt, l'équivalent d'une ère géologique dans le temps des technologies de l'information, rythmé par la loi de Moore. Servile veut dire aussi fidèle et Vista a donc certaines des qualités de Mac OS X : fluidité des déplacements sur le bureau, clarté et transparence des couleurs, dignes des fresques restaurées de la Chapelle Sixtine ou des maquettes de Goya dessinées pour des tapisseries. La stabilité et la sécurité informatique sont aussi améliorées, bien qu'au prix d'un alourdissement de plomb de la taille du code et de l'effort qu'il demande aux microprocesseurs pour tourner.

La hauteur innovante de Vista n'est pas à la mesure de l'efficacité de sa mercatique.

Cette contradiction, qui semble montrer que l'argent prime sur l'esprit, que le porte-monnaie est plus fort que la plume, a fini par agacer les Parques dont les mains tiennent les fils du destin. On dit ainsi qu'elles auraient décidé de nouer quelques fils entre eux, qui autrement ne se seraient jamais rencontrés, et de créer des liens entre des passés et des avenirs que le cours des choses aurait maintenu loin les uns des autres…



L'abbé Pierre est décédé le mardi de cette quatrième semaine. La presse s'est saisie de sa mort dans l'heure qui l'a suivie, et les ondes ont commencé à dégouliner de bons sentiments et de déclarations lénifiantes proférées par tout le monde, l'homme de la rue saisi dans sa spontanéité par des micros-trottoirs et des personnages publics de tous les mondes, du politique au cinéma et des affaires aux ONG. On a même cité l'abbé disant que la pire mauvaise action qu'on pouvait diriger contre quelqu'un était de le rendre célèbre. Admirable talent des média pour dire tout et son contraire sans y voir le moindre lien, ni la moindre contradiction !

La logorrhée a duré une semaine, jusqu'à ce qu'on annonce l'assassinat du Président des Etats-Unis. Le monde et les journalistes se mirent alors à penser à autre chose.

Les politiciens, en tant que leaders d'opinion, ont été interpelés par les journalistes pour donner leur sentiment à propos de l'Abbé et, piégés dans l'obligation de répondre, ont formulé leurs commentaires dans un style cohérent, qui transcendait les différences d'opinions habituelles. Quelques uns sont restés simples et discrets, profitant de l'occasion pour montrer leur largeur de vue et leur propre épaisseur humaine, alors que d'autres ont utilisé l'événement sans vergogne pour avancer leurs propres programmes et leurs pro-pres marottes idéologiques.

Tous pensaient, sans le dire, qu'en se frottant à la sainteté, ils s'en oindraient eux-mêmes, même d'une infime quantité…

Certains ont été exhaussés au delà de leurs rêves les plus fous.



La question de la canonisation de l'Abbé Pierre a été évoquée quelques heures à peine après sa disparition, après son passage dans l'autre monde comme il en parlait lui-même. On ne pourrait pas l'appeler simplement Saint Pierre, trop court et une marque déjà protégée par encore plus grand que lui, mais Saint Pierre d'Emmaüs sonnerait juste.

Les services de la Congrégation pour la Propagation de la Foi créèrent un dossier le jour même pour entamer la procédure de béatification. Un dossier créé sous Access.

Le Vatican était entièrement équipé d'ordinateurs tournant sous windows, un fait qui est peu connu et que Microsoft n'a jamais réussi à utiliser pour sa promotion publicitaire du fait de son client qui ne le souhaitait pas.

Les agences de pub n'ont donc pas dépassé le stade d'expériences pilotes internes, appréciées du personnel dans les exercices de créativité proposées aux nouveaux embauchés. "In the beginning was the Word, in the beginning was Windows". "Windows works for God". "Ecrit sous WOD, le traitement de texte qu'utilise Dieu et ses saints – Written with WOD®, the version of WORD custom designed for GOD's coworkers".

Le dossier de canonisation de l'abbé Pierre avait l'épaisseur qu'exigeait sa complexité. Toutes les déclarations faites par toutes les personnalités y étaient consignées. Celles de Lambert Wilson comme celles de Nicolas Hulot, de Ségolène Royal, d'Hélène Carrère d'Encausse, de François Bayrou ou de Nicolas Sarkozy.

Le passage des ordinateurs du Vatican de Windows XP à Vista eut lieu pendant le week end séparant la quatrième de la cinquième semaine. Le week end au Vatican est largement consacré aux Offices et le travail de bureau est ainsi ralenti par rapport au travail spirituel, laissant un peu d'espace-temps pour la maintenance des installations. Les dossiers Access furent automatiquement convertis de XP à Vista, y compris celui de l'Abbé. Il ne fut pas consulté avant longtemps, car la disparition de G. W. Bush agita la planète jusqu'aux profondeurs du Saint-Siège pendant de nombreux mois années. Personne ne vit ainsi la main des Parques tissant des nœuds interdits dans l'empilement régulier d'atomes des circuits de silicium.

Une autre version de l'histoire est que le Paradis lui-même décida à ce moment-là de s'informatiser.

Il semblait en effet, vu de Là-Haut, que la technologie des hommes avait dorénavant atteint le stade où elle pourrait rendre quelques menus services dans les Cieux. En outre, il fallait aussi libérer des ressources pour d'autres missions: bien que l'infini ait largement court dans le back office de la Divinité, le concept d'érosion des ressources y a aussi un sens, même s'il transcende la notion terre à terre que manipulent les hommes de chair. Mutatis mutandis, on y pratique aussi quelque chose qui relève de l'assurance qualité, même si les accréditations ISO 9000 ou 14000, les plus pratiquée en ce bas monde, ne sont pas encore à la hauteur de ce que les collaborateurs du Très-Haut savent faire de façon immanente. La procédure conduisit donc à sélectionner la technologie Vista.

Microsoft ne put non plus utiliser l'argument pour améliorer son image, non que le client l'ait interdit, mais parce que les règles internes de la firme sur le politiquement correct et la non-discrimination l'interdisaient. Les services commerciaux implantés dans les pays musulmans, en Inde et en Chine firent en effet remarquer que parler de leur produitphare en relation avec la Divinité des Catholiques romains serait le meilleur moyen de faire tendre leurs ventes vers zéro.

Ce choix provoqua aussi un choc profond chez Apple et chez Linux. Mais ceci est une autre histoire !

Donc, Là-Haut, un dossier sur la béatification de l'Abbé Pierre fut ouvert sous Vista. Les fichiers déjà préparés à Rome leur furent transmis par courrier interservices depuis le Vatican. Une synchronisation permanente et en temps réel - quoi que cela puisse signifier quand deux univers aussi différents étaient impliqués - fut établie entre les versions des deux services, concurrents mais néanmoins collaborants.

L'histoire ne dit pas si une troisième version du dossier fut aussi créée en Enfer, une version sombre et d'ombre, cela irait sans dire. Elle ne dit même pas si cette nouvelle version de l'histoire, dans laquelle tremperaient les bureaux du Créateur, a le moindre fondement de vérité.



Voilà, la messe est dite !

Quand le dossier de la béatification fut rouvert, très, très longtemps après, c'est le nom de Nicolas et non celui de Pierre qui y figurait pour désigner le candidat à la canonisation. Une inversion s'était produite dans le stockage des données, qui avait conduit à ce résultat remarquable.

Le plus souvent, quand un hoquet magnétique ou quantique détruit des données, cela conduit à une corruption visible du fait qu'un mot est remplacé par un assemblage de lettres et de signes dépourvu de sens. Mais le hasard fort improbable s'était produit, une chance sur soixante dix huit milliards, et Pierre avait été remplacé par Nicolas, pas par zy$%z5(§ug ! Tout se passait comme si le hasard avait choisi un autre mot ailleurs dans le fichier.

Tous les documents avaient retrouvé une parfaite cohérence, grâce aux intelligences artificielles qui y avaient pourvu en réparant le texte automatiquement.

Avec le temps, c'étaient devenu des documents historiques, des incunables numériques qui faisaient foi, longtemps après que les hommes qui les avaient produits aient été transformés en poussière, la même poussière que celle dont est extrait le silicium. La transformaton n'apparut donc pas au grand jour. Elle était l'œuvre de certaines forces, qu'on peut appeler par simplification le hasard. Mais on pourrait aussi parler d'une manipulation.

Il est commode, par exemple, d'évoquer les Parques. Dire qu'elles ont voulu punir les hommes d'avoir confondu la forme et le fond, le fric et l'esprit, Vista avec d'autres produits plus créatifs et plus innovants, est amusant.

La vérité est peut-être simplement mécanique, que le système Vista n'était pas encore assez stable, qu'espérer qu'il le demeure sans aucune corruption de données pendant plusieurs siècles étaient un rêve et, pire, une erreur de jugement.

Qu'importe ?

Le résultat est que c'est Nicolas qui fut canonisé. Et que ce nouveau Saint Nicolas vint naturellement prendre la place de l'ancien et remplacer le Père Noël.

On ne sait pas s'il s'agit de Nicolas Hulot ou de Nicolas Sarkozy, ou d'un nom né du hasard. Comme Saint Nicolas envoie des fouets aux enfants, les experts pensent qu'il s'agit du second, mais allez savoir…

Quand à l'Abbé Pierre, il fut cette fois écouté ! Il ne fut jamais canonisé et ne devint donc pas plus célèbre qu'il ne l'avait été de son vivant. En fin de compte, personne ne lui voulait tant de mal ! On finit même par l'oublier.

Par contre on raconte qu'il est au Paradis depuis longtemps, qu'il n'y est toujours qu'Abbé, que sa cape est toujours noire, sa barbe et ses sourcils toujours blancs et vigoureux et qu'il la coince souvent dans la vitre de sa 4CV, qui elle aussi est montée au ciel.

Renault pourrait imaginer de faire sa pub sur l'ascension ou l'assomption d'une de ses voitures, mais la firme n'en a jamais rien su et il n'est pas certain que l'idée dépasserait les débats, au conseil d'administration, entre les représentant de Renault de culture judéo-chrétienne et ceux de Nissan, plutôt shinto-boudhistes.

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